mardi 13 mai 2008

Métaphore et Temps Pluriel

Ainsi, ayant révolutionné la conception du sujet et du temps en empruntant différentes lignes de fuite et en pliant des textes choisis, l’art créatif de Freud vient toujours inévitablement se heurté à sa volonté de fondement absolu. Le soufflé retombe alors quelquefois notamment lorsque Freud, plutôt que d’accepter l’absence d’origine et de fin que suppose le rhizome deuleuzien, tente le passage à un généalogisme toujours plus complexe. Ainsi, selon André Green, il y a …impossibilité, pour Freud de se résoudre à l’idée d’une temporalité liée à l’expérience vécue par le seul individu et encore moins que celle ci serait de nature homogène, ayant à dialectiser les effets combinés de la nature et de la culture[1]. Il s’agit là d’une problématique qui parcours l’œuvre de Freud bien que de manière décousue à partir de Totem et tabou (1913) puis, Psychologie des masses et analyse du Moi (1921), L’avenir d’une illusion (1929), Malaise dans la civilisation (1930) jusqu’à son point culminant dans L’Homme Moïse et la religion monothéiste (1938). Pour échapper au socle mou de la réalité “objective ” individuelle, Freud fonde l’existence et le devenir du fonctionnement psychique humain sur l’existence des fantasmes originaires universellement transmis à l’ensemble de l’espèce humaine ; Séduction, Castration, Scène primitive… Mais la question se reporte à l’infini qui vient se déplacer du registre de l’opposition fiction/réalité, sur le registre des fantasmes dans la recherche des fantasmes originaires. On croyait échapper à l’impasse duelle et l’on retombe dans l’impasse d’un temps dont on pourrait déterminer une origine dépassant certes les débuts de l’individu, mais fixant désormais les début de l’espèce. Pas si simple que cela, nous y reviendrons plus tard. Mais à partir de cette question de l’originaire, une conclusion s’offre déjà a nous, sortir de cette nouvelle impasse oblige à un recentrage sur la métaphore et son mouvement au-delà de toute définition finale d’un début et d’une fin, dans l’idée d’une oscillation permanente entre ces deux concepts. Nous verrons que l’originaire n’est pas la source, il est le bain, il est le toujours là d’un travail de métaphorisation toujours en cours qui marque la dynamique constante de notre rapport au monde.
Que fait par ailleurs Deleuze lorsqu’il exprime sa représentation du temps ? Ici, aucuns soucis d’une cohésion globale ni de volonté de fondement originel. Pas d’autres volonté que de ne pas trahir le sens fondamentale de sa démarche libertaire. Deleuze multiplie les lignes de fuite en multipliant les sens métaphoriques du temps et en les faisant coéxister simultanément dans son œuvre c’est à dire dans le récit ou l’écriture d’une pensée rhizomatique. Voici quelques fragments qui composent la bizarre mosaïque deleuzienne du temps, avec ses colorations respectives : le présent comme synthèse passive sous représentative, ou contemplation contractante (Plotin, Hume) ; le passé en tant que Mémoire ontologique, Mémoire-monde, Cône virtuel (Bergson) ; le futur en tant que retour sélectif qui rejette le Sujet, la Mémoire, l’Habitude (Nietzsche) ; l’opposition Aïon/Chronos (stoïciens) ; le temps de l’Evénement (Péguy, Blanchot) ; l’Intempestif (Nietzsche) ; le temps comme “ déphasage ” (Simondon) ; la Césure et un temps qui ne rime plus (Hölderlin) ; le temps perpliqué, le temps pur ou retrouvé de l’art (Plotin, Proust) ; le temps libéré de sa subordination au mouvement (Kant inversant Aristote) ; le temps comme Différence, ou comme autre (Platon contre Platon) ; Le temps comme Puissance et non comme Finitude (Bergson contre Heidegger) ; Le temps comme Dehors (Blanchot, Foucault). De ces quelques temps ou concepts de temps qui se séploient en cascades vertigineuses tout au long des livres de Deleuze en les irriguant d’un bout à l’autre, quelques incohérences sautent aux yeux et semblent faire éclater l’œuvre qui, pourtant, les affirme simultanément. Les bifurcations majeures suscitent chez le lecteur un questionnement : en fin de compte, Deleuze conçoit-il le temps comme contraction ou comme scission ? comme pli ou comme dépli ? comme un transcendantal ou comme un virtuel ? S’agit-il d’un temps pur et vide, ou d’un temps ontologique, plein de points singuliers ? Est-ce un temps droit ou rhizomatique ? Relève-t-il de l’intériorité ou de l’extériorité ? Du Tout ou du Dehors ? De la forme ou de la puissance ? [2] L’extrème d’une telle juxtaposition de “ lignes de fuite ” nous mène à une liberté qui fait tourner la tête, et il y a de quoi. Si l’on cherche à faire rentrer de telles perspectives toutes ensembles dans le cadre classique d’une vision dualiste sans déséquilibre, sans mouvement c’est à dire avec une térritorialisation fixe et convenablement balisée, on se retrouve ien en peine de prendre pour un seul et même point de vue ce qui ressemble alors à un agrégat de points de vue sans queue ni tête. Au contraire, si l’on prend le parti d’échapper aux contraintes absolues d’un temps dont la seule définition possible serait celle d’une causalité linéaire unique et définitive, on entre alors dans la perspective que le temps n’est pas une seule définition de lui même, mais bel et bien issu du mouvement de coexistence selon des aller retour à vitesse infinie, de l’ensemble de toutes ces définitions possible du temps. Différents sens qui cohabite en même temps qui relativise la question même d’une définition rationnelle et unique du temps en en démultipliant à l’infini les possibles definitions selon le principe intime de ce carrefour sémantique que représente la métaphore, la quintescence même qu’aurait la pensée à ce reproduire différente en tordant le cou du langage. A y bien regarder de plus près il nous semble avoir montrer que la question n’est pas tellement différente quant à la cohésion générale du point de vu freudien sur le temps. La métaphore comprise dans le fonctionnement princeps de la métapsychologie et de la conception même du principe de rencontre entre l’association libre, interprétation et cette métapsychologie ; c’est à dire entre Freud le psychanalyste et son patient ; ou encore les textes profanes et professionnels des différents Je en présence/absence. La métaphore paradigme d’une cure devenue carrefour de rencontres multiples, dans ou grâce à un hors temps issu de cette philosophie du dehors qui permet l’impensable aller retour transformant entre des délimitations figées et une déterritorialisation des Je en présence (analyste et patient) ainsi que tous ces autres qui entoure la constitution des récits qui animent ces présences.
Parlant du temps freudien André Green ne nous semble pas écrire autre chose : “ Il n’y a pas une histoire (grande ou petite), mais des histoires à l’intérieur des sphères de l’individu, de la culture, de l’espèce, qui s’imbriquent, se chevauchent et s’opposent parfois – vivant chacune à son rythme propre, selon son temps. ” et il ajoute : “ ..il faut avoir le courage de rendre justice à cette complexité et de tenter de ramener les fils épars de cet écheveau pour nouer les figures multiples de ce temps [3]. Nous faisons alors que proposer notre vision de travail de la métaphore pour tenter une articulation pensable de ces figures multiples du temps. Les héritiers de Freud ne s’y sont pas tromper nous semble-t-il en continuant la prolifération du rhizome par la démultiplication de cette métaphorisation des temps de la cure. Sylvie Lepoulichet écrit : L’analyste est bien un lieu anachronique, puisqu’il est un lieu de rencontre de différents temps ”.[4] L’auteur sépare alors dans l’espace de cure ces différents temps du transfert ; un temps qui passe et un temps qui ne passe pas, le temps du rêve, le temps réversif etc.. André Green de son coté écrit : Le rêve démontre l’existence d’un temps éclaté, c’est à dire d’un temps qui n’a plus guère à voir avec l’idée d’une succession ordonnée selon la tripartition passé-présent-futur[5]. Sophie de Mijolla[6] parle d’un temps dynamique qui zigzague et se chevauche. Monique David Ménard pour sa part, nous parle de La fonction du temps du désespoir dans la cure ainsi que d’un “temps immobile ”chez une patiente psychotique. Ou encore elle écrit, le temps était disloqué, et c’est cette dislocation, apparemment négative, qu’il s’agissait de faire vibrer autrement[7]. Incroyable vibration qui se poursuit d’un auteur à l’autre, peut être malgré lui, et qui tente de décrire cette même expérience toujours différente du temps dans l’espace de cure. Héritier de Freud certes, mais de Deleuze ne semble t il pas aussi ? Et point n’est besoin ici de chercher une logique généalogique qui viendrait respecter la ligne de l’histoire classique. Ici, Deleuze Freud et le récit de cure naissent en même temps. Il est alors moins que jamais aberrant d’entendre Peter Pelbart écrire : Lorsque Deleuze écrit sur le temps, il évoque toujours un dérèglement : temps décentré, aberrant, sauvage, paradoxal, flottant ou même effondré. Il n’est pas abusif de considérer que la folie du temps, telle qu’il la travaille communique directement avec la temporalité dite clinique.

Il n’y aurait alors qu’un pas pour supposer qu’il peut exister autant de discours et d’interprétations que de temporalité a l’œuvre. Autant de point de vue que de découpage d’une scénographie virtuelle ou le montage des mots images. Les métaphores ont ce pouvoir de créer autant de dimensions temporelles autant de ligne de fuite qu’il y a de montages possibles d’un récit qui est toujours rencontres et récit de rencontres. Mais la juxtaposition de ces images n’est pas tout, encore faut il réussir a les faire vibrer ensemble dans un mouvement qui seul en fait la cohérence. La force de vie de cette cohérence, de ce mouvement, est ce qui pour nous est l’énergie profonde qui anime la valeur thérapeutique de la cure dont le mouvement créateur de la pensée dans la rencontre, dans la capacité de pliage, devient alors le nouveau paradigme.
La métaphore à l’origine d’un temps pluriel… nous voilà donc avec le langage d’une rencontre (au sens du pli créateur deleuzien) métaphore du vivant, toujours en jeu par delà l’espèce ou l’individu comme passage transchronique. Dynamique du possible ou le jeu des pluriels abolit les écarts entre l’origine et la mort ; variant de l’éloignement à la confusion, de la radicale séparation au potentiel devenir autre ; La métaphore plie et déplie cette toile de fond universelle tissée dans cette matière intemporelle du fantasme, se dessine alors une pluralité temporelle qui détermine les différentes figures du réel. L’atemporel est alors cet invisible/indicible hors temps de l’inconscient, le tableau noir sur lequel le pinceau de la conscience/mot peut mettre en relief une figure du temps. La conscience du jeu des métaphores devient conscience de la pluralité des consciences donc pluralité du temps et pluralité des arabesques possibles de la réalité et de ses descriptions.
Souvenons nous alors qu’en débutant notre réflexion sur la métaphore, à partir de réflexions de Paul Ricoeur, nous passions déjà en revue les différents points d’orgue des propriété métaphoriques. Se sont ces mêmes propriétés que nous avons mis ensuite en relief dans la cure. Ricoeur nous parle d’un « processus rhétorique par lequel le discours libère le pouvoir que certaines fictions comportent de re décrire la réalité ». C’est une description dont nous avons développer la justesse lorsque l’on l’associe à la métapsychologie de Freud. C’est alors aussi une définition qui ouvre un regard lucide sur la nature même du jeu des mots, de la pensée et du Je, tel qu’il peut être mis en mouvement dans le principe thérapeutique de la cure. Ricoeur a rencontrer Freud c’est une évidence, et il nous parle déjà de cette rencontre dans les plis du texte de « La métaphore vive ». Innovation sémantique, prédications impertinentes et travail de ressemblance sont par ailleurs autant valables pour les métaphores de la fiction freudienne que pour cette autre incroyable fiction que le travail de l’interprétation fait co-produire à la rencontre patient/psychanalyste. Mais plus surprenante est la présence potentielle de Deleuze chez Ricoeur. Pourtant ce dernier explique bel et bien que « c’est au travail de ressemblance que doit, en effet être rapportée l’innovation sémantique par laquelle une proximité inédite entre deux idées est aperçue en dépit de leur distance logique ». La métaphore est alors porteuse d’un rapprochement inattendu entre distance et proximité. Lieu d’un surprenant passage générateur de sens mais transgresseur d’une logique qui rendait jusque là irréductible ce qui diffère et ce qui ressemble. Ce qui, parce que nous avons désormais accepter que la métaphore permettait le passage entre fiction et réalité, nous fait franchir le pas de l’imaginaire poétique littéraire à la réalité clinique de la cure. Deleuze en répondant à Ricoeur : « Alors la répétition la plus exacte, la plus stricte a pour corrélât le maximum de diffférence » les fait tous les deux tenir, en même temps qu’il vient dédoubler l’origine métaphorique de la pensée de Freud, à la frontière d’une explication du fonctionnement de la thérapie psychanalytique. Ici s’entame la réconciliation des extrèmes, car si selon Ricoeur : «...le temps devient humain dans la mesure où il est articulé sur un mode narratif, et que le récit atteint sa signification plénière quand il devient une condition de l’existence temporelle », on ne peut éviter la rencontre avec l’héritage actuel d’une psychanalyse qui a tout aussi bien accepté que le « Le Je n’est rien d’autre que le savoir du Je sur le Je ». Croisement d’une pensée consciente avec le texte inconscient, la pensée de Ricoeur ne peut plus éviter son ombre deuleuzienne. Cette « réconciliation » trouve alors son destin connecté à celui d’une temporalité mixte où passé et présent seraient définitivement et nécessairement imbriqués ; condition sine qua non à tout avènement créatif. « Double existence » transgressive des effets réducteurs de la dualité, la métaphore conjugue alors d’un seul mouvement intemporel les différentes rencontres possibles et impossibles de Freud, Deleuze et Ricoeur. C’est pour cela, que la métaphore est « vive car elle contient en elle-même le procédé de la création de l’être, création de l’innovation du sens et ode naturelle à la liberté de penser de la seule manière que Deleuze connaisse, en tordant le cou au langage. Bien sûr le pliage est osé si l’on veut à tout prix garder Deleuze à distance de Ricoeur, mais que de perspectives ouvertes à partir de cette rencontre que nous avons pensé possible à l’aune de celles qu’ils ont faite effectivement chacun de leur coté, avec Freud et la psychanalyse (L’anti oedipe, l’interprétation). C’est alors que si Ricoeur écrit : « la mise en œuvre du langage par la parole des sujets parlants fait apparaître l’ambiguïté de tous les signes ; dans le langage ordinaire, chaque signe recèle un potentiel indéfini de sens ; un simple coup d’œil au dictionnaire relève une sorte de glissement de proche en proche, d’empiétement sans fin sur le domaine sémantique de tous les autres signes ; parler, c’est instituer un texte qui fonctionne comme contexte pour chaque mots ; le potentiel des mots les plus chargés de sens est ainsi limité et déterminé par le contexte, sans que le reste de la charge de sens soit pour autant aboli ; seul une partie du sens est rendue présente, par l’occultation du reste du sens possible ». Ici est décrit ce à quoi Deleuze tente de rendre hommage, le fond dissonant d’une coexistence infini de sens, ligne de fuites infinies, sur lequel un sens dominant érigerait seul sa voix aliénante. Processus fondamental de l’innovation sémantique, il met en évidence cette vibration inaudible qui transforme alors la dissonance de cette pluralité sémantique par la résonance subtile qui en fait les animent. Nous pourrions alors laisser à J Y Pouilloux une conclusion qui prendra désormais une valeur de grande importance pour une compréhension différente d’un temps métaphoriquement pluriel dont la représentation est particulièrement vivante dans l’expérience de la cure. « aussi la métaphore peut elle se concevoir nos pas comme écart par rapport à un sens premier mais au contraire comme la forme même de tout discours : Chaque expression comporte une force métaphorique potentielle (explicite ou non, et cela peut donner lieu à malentendu, l’un des interlocuteur entendant l’énoncé comme une figure et l’autre non, ce qui témoigne bien de la présence simultanée des sens possibles… Mais une définition aussi large de la métaphore pose problème en ce qu’elle ne distingue pas un usage métaphorique du mot de la simple polysémie. Aussi faut-il préciser que l’un des sens (ou l’une des pensées) simultanément présents dans l’expression est évoqué à travers la présence de l’autre, et donc que la métaphore se caractérise par une certaine interaction des deux pense l’une par rapport à l’autre. Cette interaction rend tout à fait inutile le recours à l’analogie entre les deux choses en soi, puisque c’est la relation qui seule importe ».
Ainsi, concernant notre lecture de Ricoeur, Freud et Deleuze, leur coexistence temporelle selon une succession chronologique classique ne nous est d’aucune utilité, seule la toujours contemporaine omniprésence dans leur pensée des propriétés explicites ou implicites de la métaphore et de la psychanalyse fonde le lien qui les met en relation dans cette inquiétante étrangeté qu’ils se renvoient en miroir, du moins dans notre regard.
Dans cette vision particulière d’un temps à vibrations plurielles, l’universel est dans ce qui échappe, en quelque sorte, à la radicale différence des théories ou encore à l’absence de toute analogie évidente. Mais comment considérer ce point de communauté si ce n’est en lui donnant le même point d’origine, ce qui serait incompatible avec notre point de vue multidimentionnelle. Car dans ce dernier cas, le temps linéaire ne peut être qu’une manière, parmi d’autres, de voir le temps. Il nous faudrait alors penser la notion d’origine d’une toute autre manière. “ Au commencement serait… le fantasme originaire ? ”[8] nous annonce André Green, de là à penser l’originaire comme fond de la métaphore il n’y a qu’un pas dont nous avons déjà entamer le franchissement en faisant de la métaphore l’avènement originel de la pensée. Il nous manque néanmoins à replacer cet originaire dans le cadre Deleuzien du rhizome, ce qui nous permettra alors d’entrevoir autrement les possibilités cliniques de cette démarche de pensée pour le psychanalyste placé au bords du langage psychotique.
Du corps à la parole, du perceptif au symbolique… la représentation…La métaphore s’enracine dans le corporel…la relation mère enfant et les fantasmes originaires. En développant sur ses thèmes le rapport de la métaphore à l’originaire, S.Ferrières-Pestureau part de ce point limite ou l’articulation dualiste soma/psyché fait défaut. Ce point particulier ou s’efface en une béance de sens l’intégrité d’un corps en cours de perception. L’originaire apparaît comme le point ultime à explorer, une butée où la pensée répond à l’urgence d’un besoin de rationalité dont la source est irrationnelle, une représentation limite qui arrête et soutient l’hémorragie du sens et qui délimite un lieu indéterminé en deçà d’une dualité soma/psyché [9]. Il s’agit bien ici du corps de l’image et du schéma (Cf. partie de thèse correspondante), résolument perceptif, relationnel et toujours en cours de construction. Rapport de va et vient omniprésent vers cet originaire qui forme autant la trame que la brique élémentaire de l’élaboration du ressenti corporel et son intégration dans une représentation globale qui fonde l’identité du sujet. Forme la plus aboutie de ce maillage perception/représentation, le discours devient témoin vivant de cette opération de construction ou la métaphore, banalisée sous la définition d’une simple figure de style, masque la trace d’une mise en fonctionnement vitale. C’est cette fonction vitale qui met en jeu le mouvement primordiale du manque, de l’absence, du vide c’est à dire de ce qu’il y a quand il n’y a rien, condition nécessaire et sine qua non pour qu’il puisse advenir quelque chose, le lieu de l’originaire par excellence. L’originaire apparaît comme le lieu hypothétique de traces indélébiles d’expériences encore indicibles, où l’activité métaphorique s’alimente pour donner à entre-voir ce qui au sein du discours que nous tenons, reste en souffrance d’un dire, l’imprononçable peut être, le corps originaire en somme[10].
Piéra Aulagnier a suivi pour nous le cheminement de pensée qui mène a l’originaire en partant de considérations thérapeutiques sur le discours psychotique. Car c’est un discours qui nous oblige à reconsidérer nos modèles de pensée psychanalytiques hérités des concepts freudiens fondés sur le paradigme de la névrose. Or, selon elle, ce paradigme est insuffisant en l’état pour permettre à la cure son accès à la psychose. Piéra Aulagnier développe alors ses propres considérations et écrit: Notre modèle défend l’hypothèse selon laquelle l’activité psychique est constituée par l’ensemble de trois modes de fonctionnement, ou par trois processus de métabolisation : le processus originaire, le processus primaire, le processus secondaire. Les représentation résultant de leurs activité seront respectivement la représentation pictographique ou le pictogramme, la représentation phantasmatique ou le phantasme, la représentation idéique ou l’énoncé[11]. Pour Piéra Aulagnier, il ne s’agit pas de poser la question de l’originaire comme une tentative de réponse qui trouverait sa vérité dans un en plus de légitimité indexé à l’aune du “plus antérieur que ”. Il ne s’agit pas ici de la recherche naïve d’un événement fondateur mais bien plutôt d’un événement singulier. Evénement qui, en ce qu’il s’inscrit dans la singularité du rapport au temps métapsychologique, échappe à la re-connaissance consciente tout en laissant une empreinte omniprésente entre les lignes du discours psychotique et plus largement mais moins visible, de toutes les formes de discours. Nous sommes toujours et plus que jamais dans ce lieu du paradoxe temporel ou règne le processus primaire dans une atemporalité de l’inconscient qui abolit la chaîne des causalités linéaires et pose le postulat de l’auto engendrement. Cet originaire est alors fonction omniprésente et silencieuse, support sine qua non de la représentation, de sa formation à sa transformation.
Ce travail de représentation est pour Aulagnier : l’équivalent psychique du travail de métabolisation propre à l’activité organique… à la différence prés, que dans ce cas l’élément absorbé et métabolisé n’est pas un corps physique mais un élément d’information [12]. Cette information est celle produite par la rencontre de l’excitation des sens avec la stimulation de l’objet. A la fois cause et conséquence de l’essence même d’une dynamique relationnelle dont la forme paradigmatique selon Aulagnier est la rencontre princeps de la mère et de l’enfant. Cette rencontre est aussi celle de deux corps sexués qui génèrent dans leur engagement réciproque un “en plus ” informationnel dont le devenir est subordonné aux capacités intégratives du système mère/enfant. Au-delà même d’une dichotomie corps/psyché la polarité plaisir/déplaisir devient une échelle possible à laquelle indicer cette excitation sensorielle. C’est à l’aune de cette notion de plaisir que prend sens l’élaboration des frontières identitaires du Je, qui dans le même temps qu’elles construisent les délimitations du Moi et de l’objet, de l’intérieur et de l’extérieur, construisent les représentations qui supportent le sens de ces délimitations. Métaboliser revient donc alors à un processus d’intégration en des représentations inconscientes dont le pictogramme est la forme originaire et ou l’intercorporeité “immédiate ” de la rencontre mère/enfant constitue le “fonds représentatif ” (selon l’expression de S.Ferrières-Pestureau). Ce “fonds représentatif ” est l’aliment omniprésent qui baigne et nourrit le processus intégratif dont émergent les représentations. “ L’originaire serait-il alors, au-delà des relation imaginables et dicibles, la réponse à la tentative de penser, un monde étrangement familier dont nous ne pouvons rien dire ? Serait-il cette “ pensée du dedans ”, à la fois hétérogène et fondatrice; ce point réflechissant qui fonde la réflexion théorique et auquel la pensée se re-source à condition de penser l’écart, ouvert entre ces “ aller/retour ” comme générateur d’incessants repérages identifiants ”.[13] Entre pensée du dedans et philosophie du dehors n’est-on pas encore une fois dans un mouvement identique qui vient encore une fois rendre hommage au lien fondamental de la pensée de Freud et de Deleuze. Tous les deux parents ou héritiers de la psychanalyse.
Pas supplémentaire vers une définition toujours plus intime du processus métaphorique qui prends alors profondément racine dans la fonction originaire du fantasme… Le discours métaphorique nous restitue l’instantanéité de la rencontre, il puise sa force dans le temps “ auto-érotique ”, temps d’auto-engendrement. Dans cette perspective, l’émergence de la psyché sous la forme “ pictographique ” serait l’émergence de “ l’image vive ” de la présence, son auto-présentation, dans la mesure où elle surgit en ce posant à la fois comme cause et comme “ métaphore vive ” de ce qu’elle éprouve, dans cet écart générateur d’effet de sens qui assurent la relance permanente du processus métaphorique ”.[14] Entre image vive et pictogramme, n‘est ce pas désormais Ricoeur qui peut désormais s’enorgueillir d’avoir nourrit la psychanalyse de sa rencontre avec Freud ?
L’originaire, cette étape la plus ultime dans la tentative freudienne d’échapper aux paradoxes de sa pensée sur le temps et le rapport à l’universel, a poussé la théorie des fantasmes vers une complexité qui n’a pourtant pas pour autant résolu l’impasse liée à l’articulation de l’expérience psychanalytique de l’inconscient et la représentation unique d’un temps linéaire. Mais il nous a encore démontrer, qu’aussi loin que nous tentions d’échapper aux dualismes qui semblent découler de ce temps causale linéaire, la métaphore reste omniprésente. C’est même, et cela demeure la caractéristique principale de toute tentative d’échappement (de création et de libération) par la pensée. Peut-être qu’il semblerait normal de conclure alors, que le seul universel, le seul point commun à toute pensée, c’est le mouvement métaphorique qui l’anime. Concernant une représentation pensée du temps, seul la métaphore pourrait alors symboliser une « origine », mais origine d’un temps pluriel, c’est à dire sans débuts et sans fins, ou encore aux débuts et fins multiples. A la fois partout et nulle part, une vibrations du langage à vitesse infinie, l’archétype même d’une pensée rhizomatique. Nulle part et partout, à la fois début et fin, voilà bien la solution du problème dualiste celui d’être à la fois insolvable et toujours en cours de résolution. C’est à dire que la vision que nous proposons, fait émerger la création de sens dans le mouvement de va et vient instantané entre immobilité d’une pensée définie une bonne fois pour toute, et pensée en recherche, toujours en fuite. Ici la résolution ne peut plus être notre problème, seul l’évolution et le mouvement indexé à un mieux être subjectif nous importe. L’efficacité, c’est la «boite à outil » de Deleuze, il faut que ça serve. A quoi cela doit il donc servir ? Selon lui, à nous libérer toujours plus. Dans le cadre de la cure, cela revient à une tentative «d’aller subjectivement mieux ». C’est alors dans la rencontre thérapeutique que l’efficacité d’une compréhension pluriel du temps semble servir le plus. Car la théorie n’est rien sans la rencontre, nous l’avons suffisamment souligné. Et «rien ne remplace l’événement transférentiel de cette rencontre entre deux être humains qui ont des entrées différentes dans le langage, dans le temps et dans l’espace”.[15]

Mais comment le Deleuze de l’Anti-Œdipe peut il directement intervenir dans le rapport analysant analysé ? Evidemment le lien particulier qui unit les pensées de Freud et de Deleuze, va particulièrement être sollicité. Nous avons déjà développé l’articulation entre création métapsychologique et invention d’une description théorique de la rencontre de Freud et de la clinique. Nous avons vu aussi comment cette articulation venait se rejouer, de différentes manières, dans la rencontre entre l’analyste et son patient. Dans la cure il s’agissait d’une rencontre où le jeu de l’interprétation est devenu, pour nous, paradigme de l’intervention thérapeutique. C’est alors aussi devenu le terrain d’une rencontre novatrice entre discours théoriques et discours profanes ombre portée d’un va et vient complexe entre fiction et réalité. Nous étions restés jusque là dans le cadre métapsychologiquement circonscrit de la névrose. Nous allons tenter d’approcher un peu plus désormais l’intérêt de notre perception de la métaphore lorsqu’intervient la question limite du rapport au psychotique.



[1] Green A _ Le temps éclaté. Ed de Minuit, (2000), p 36.
[2] Pal Pelbart P _ Le temps non réconcilié, in Deleuze une vie Philosophique. Le Plessis-Robinson Synthelabo, pp 92-93, (1998).
[3] Green A _ Le temps éclaté. Ed de Minuit, (2000), p 40
[4] Le Poulichet S _ L’œuvre du temps en Psychanalyse. Rivages Psychanalyse, (1994), p 101.
[5] Green A _ Le temps éclaté. Ed de Minuit, (2000), p 11.
[6] De Mijolla S _ Le temps zigzague et se chevauche, in Topique, 74, pp7-16,(2001).
[7] David-Ménard M _ Processus stationnaire et vitesse infinie, in Le temps du désespoir. P.U.F
[8] Green A _ La diachronie en psychanalyse. Ed de Minuit, (2000), p 85.
[9] Ferrière-Pestureau S _ La métaphore en psychanalyse. L’Harmattan, Col. Psychanalyse et civilisation, pp 31-32, (1994).
[10] Ferrières-Pestureau S _ L’Originaire comme “ fonds ” du processus métaphorique. L’Evolution Psychiatrique , 58, 2, (1993), pp 293-302.
[11] Aulagnier P _ La violence de l’interprétation (1975). PUF, le fil rouge, p26, (1999).
[12] Aulagnier P _ La violence de l’interprétation (1975). PUF, le fil rouge, p26, (1999).
[13] Ferrières-Pestureau S _ L’Originaire comme “ fonds ” du processus métaphorique. L’Evolution Psychiatrique , 58, 2, (1993), pp 293-302.
[14] Ferrières-Pestureau S _ L’Originaire comme “ fonds ” du processus métaphorique. L’Evolution Psychiatrique , 58, 2, (1993), pp 293-302.
[15] David-Ménard M _ Processus stationnaire et vitesse infinie, in Le temps du désespoir. P.U.F